Mai 2021Télésanté

Comment les liens personnels survivent malgré la haute technologie de la télésanté

De nouvelles compétences et techniques aident à tisser les liens affectifs pendant les rendez-vous à distance

Sans que nous en soyons conscients, la relation délicate entre un patient et son médecin, c’est-à-dire entre les usagers des soins de santé et les différents prestataires de soins, a subi une transformation subtile, mais soutenue pendant la pandémie de la COVID-19.

Au cœur de ce changement, la télésanté où l’écran vidéo et le téléphone sont devenus des maillons essentiels de la prestation d’une foule de soins à distance.

Pour de nombreux patients et clients, la télésanté n’est rien de moins qu’un cadeau du ciel, une manière de recevoir rapidement des conseils et un soutien à domicile et de réduire au minimum les contacts en personnes pendant la pandémie.

Toutefois, certains fournisseurs de soins de santé ont découvert qu’ils devaient modifier leurs techniques traditionnelles pour fournir un traitement, prodiguer des conseils ou même avoir une simple conversation, particulièrement quand la consultation a lieu par vidéo.

Le grand défi reste le même : le fournisseur doit établir une relation de confiance, voire d’intimité avec l’usager. Mais comment peut-on accomplir quelque chose d’aussi personnel dans un tel environnement de haute technologie?

Être à l’aise devant un écran

La réponse se trouve au sein des différentes installations du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, où les professionnels des soins de santé et des services sociaux ont élaboré des solutions pour répondre aux besoins particuliers de leur clientèle.

Kathleen McDonald, sage-femme à la Maison de naissance Côte-des-Neiges.

Kathleen McDonald, sage-femme à la Maison de naissance Côte-des-Neiges.

Comme le note Kathleen McDonald, une sage-femme à la Maison de naissance Côte-des-Neiges, « Si vous devez créer un lien solide, ce qui fonctionne en personne pourrait ne pas fonctionner lors d’un rendez-vous virtuel ».

Par exemple, explique-t-elle, lorsqu’une vidéo est utilisée, nous avons tendance à regarder l’écran, mais le fournisseur de soins de santé doit faire un effort mental pour regarder continuellement la caméra et donner l’impression de maintenir un contact visuel avec l’usager.

« Cela peut sembler étonnant, mais si vous regardez continuellement votre écran, l’autre personne pourrait penser que vous détournez votre regard. »

Madame McDonald a également constaté que certains indices visuels de confirmation en personne, comme hocher la tête ou se pencher vers l’avant pour indiquer un intérêt, perdent beaucoup de leur portée en ligne. La solution, dit-elle, est d’ajouter plus d’indices verbaux dans la discussion, y compris de simples sons (« Umm-hmm ») et de courtes phrases (« Super », « Merci d’avoir partagé »).

De plus, le professionnel doit se rappeler que son visage domine anormalement l’écran de l’usager. Par conséquent, pour s’assurer de ne pas être mal comprise, Madame McDonald a dû devenir beaucoup plus attentive au véritable message transmis par ses expressions faciales.

« Ces petites choses sont importantes. Même si vous ne faites que réfléchir pendant quelques secondes, l’usager peut penser que vous êtes contrarié ou que vous n’écoutez pas, parce que son regard est tellement concentré sur votre visage. »

Être ouvert à la thérapie

Le besoin d’intimité et de franchise entre le médecin et le patient est particulièrement important dans le traitement des maladies mentales, dit Tung Tran, directeur du Programme de santé mentale et dépendance au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Tung Tran, directeur du Programme de santé mentale et dépendance

Tung Tran, directeur du Programme de santé mentale et dépendanceTung Tran

C’est la raison pour laquelle les psychiatres et les autres thérapeutes doivent parfois combattre le feu par le feu, en d’autres mots, utiliser les caractéristiques les plus utiles de la technologie pour surmonter ses inconvénients.

Selon Monsieur Tran, une technique efficace consiste à demander au patient d’utiliser l’appareil photo de son ordinateur portable ou de son téléphone cellulaire pour prendre des photos d’une pièce ou deux de leur domicile. Ce qui importe n’est pas nécessairement ce que la photographie révèle au sujet du domicile du patient, mais plutôt que le patient accepte de révéler quelque chose de personnel au sujet de son mode de vie.

« Pour un patient, l’acte d’ouvrir une porte virtuelle le rend plus enclin à s’ouvrir émotionnellement plus tard », explique Monsieur Tran.

Les séances de thérapie de groupe présentent un autre défi important. En effet, en personne, les deux thérapeutes qui guident ces séances maintiennent habituellement un contact visuel et s’envoient des signaux non verbaux pour décider de la suite des choses.

Toutefois, ajoute Monsieur Tran, l’utilisation d’un écran modifie ces règles de base puisque les thérapeutes ont seulement une vue partielle l’un de l’autre. Pour remédier à cette situation, ils ont recours à des phrases préétablies (par exemple, « Devrions-nous faire cela maintenant? ») qui semblent anodines aux patients, mais qui permettent aux professionnels de s’aviser mutuellement de leurs intentions.

Il existe également des solutions plus simples. Le Dr Soham Rej, gérontopsychiatrie et codirecteur du Programme d’intervention en télésanté pour briser l’isolement des personnes âgées (PIT-PA), s’assure de bouger plus lentement qu’à la normale. De cette manière, même si la connexion en ligne est lente, l’image sur l’écran du patient ne sera pas floue ou brouillée.

Filomena Novello, coordonnatrice du Service de réadaptation à l’HGJ.

Filomena Novello, coordonnatrice du Service de réadaptation à l’HGJ.

Le Dr Mark Karanofsky, directeur du Centre de médecine familiale Goldman Herzl à l’HGJ, commence souvent ses rendez-vous téléphoniques par une simple conversation informelle avec le patient afin de créer une ambiance amicale et chaleureuse. Une fois la glace brisée il est prêt à passer à un appel vidéo, si le patient le préfère.

Cependant, il arrive que le patient soit à bout de nerfs dès le début du rendez-vous, explique Filomena Novello, coordonnatrice du Service de réadaptation à l’HGJ et du Service soutien aides techniques au Centre de réadaptation Lethbridge-Layton-Mackay.

Cette situation peut se produire si le patient ne comprend pas en quoi consiste la télésanté, ce qui se traduit par une réticence à participer aux séances. Selon Madame Novello, les personnes moins versées en technologie peuvent aussi devoir composer avec la peur associée à l’utilisation de nouvelles technologies et d’Internet. Ou encore, les patients peuvent être frustrés en raison de problèmes techniques lors de l’établissement de la connexion de télésanté.

Le seul recours, explique-t-elle, est d’être aussi clair, calme et patient que possible. Il peut être également être utile de fournir des directives faciles à comprendre et de les passer en revue, ainsi que toutes les autres préoccupations du patient, avant le rendez-vous.

De plus, comme pour plusieurs aspects de la vie, c’est en forgeant qu’on devient forgeron! Et c’est en continuant à utiliser les nouvelles technologies que le patient et le professionnel « forgent » leurs compétences en matière de télésanté.

Composer avec les détails techniques

Il ne fait aucun doute que les détails techniques ont une importance cruciale pour la réussite d’une séance de télésanté, et les fournisseurs de soins de santé ont dû accroître rapidement leurs connaissances de la technologie.

Au Centre de médecine familiale Goldman Herzl, un petit manuel d’instruction a été élaboré au printemps de 2020 et distribué largement, ajoute le Dr Karanofsky. Il comprend des conseils sur la manière d’inviter les patients à présenter les pièces d’identité nécessaires à la caméra, de faire face aux urgences qui se produisent au cours d’une séance et de décider s’il serait plus pertinent de voir un patient lors d’un rendez-vous en personne.

Dr Mark Karanofsky, directeur du Centre de médecine familiale Goldman Herzl.

Dr Mark Karanofsky, directeur du Centre de médecine familiale Goldman Herzl.

Le Dr Karanofsky trouve aussi que la résolution faible d’une image vidéo ne permet pas d’examiner correctement plusieurs problèmes cutanés. À cette fin, il demande aux patients de prendre une photographie de la zone du problème et de la lui envoyer avant le rendez-vous pour qu’il puisse fonder son diagnostic sur une photo de qualité supérieure.

Les détails techniques peuvent parfois être plus difficiles à gérer pour les séances de physiothérapie, qui comportent plus de directives verbales et d’activités physiques que, par exemple, une séance en santé mentale. Il faut notamment trouver un endroit approprié dans le domicile du patient où la caméra peut capturer clairement les mouvements de ce dernier.

Maria Ambrosio, coordinatrice Clinique, clientèle ambulatoire au Service de physiothérapie à l’HGJ, conseille à ses patients d’utiliser un espace vaste et aéré, dans la mesure du possible, afin de pouvoir déplacer facilement et en toute sécurité l’ordinateur portable ou le téléphone cellulaire d’une table au plancher ou à une chaise, s’il y a lieu.

Si le patient accepte qu’un proche ou un ami soit présent pendant la séance, dit Madame Ambrosio, cette personne peut déplacer la caméra et aider le patient si ce dernier a des problèmes de mobilité ou s’il ne comprend pas bien les explications du physiothérapeute.

Dr Soham Rej, gérontopsychiatrie à l’HGJ.

Dr Soham Rej, gérontopsychiatrie à l’HGJ.

Établir un lien de confiance signifie aussi que les patients, et particulièrement les patients âgés vulnérables doivent être certains que personne ne cherche à les escroquer, explique la Dre Syeda Bukhari, directrice programme PIT-PA.

Pour calmer ces craintes, la veille du rendez-vous, un membre du personnel de l’HGJ téléphone au client d’un numéro familier. Le client est rassuré que lorsque le téléphone sonnera le lendemain à une heure précise, l’appelant sera bien un bénévole de PIT-PA, même si le numéro ne lui est pas familier.

Le Dr Soham Rej note que le programme PIT-PA a lancé un programme de culture numérique afin de familiariser plus de personnes âgées à l’utilisation d’Internet et des plateformes vidéo comme Teams et Zoom.

Vie privée et confidentialité

Pour que la confiance puisse s’instaurer entre les usagers de tous les âges et le professionnel, il est d’une importance clé de protéger adéquatement la vie privée de l’usager et la confidentialité de la séance. L’intimité peut seulement exister si les patients et les clients n’hésitent pas à discuter de problèmes délicats, même dans des circonstances non conventionnelles.

Gabrielle Chartier, infirmière pivot à la Section d’oncologie cervico-faciale au Centre du cancer Segal.

Gabrielle Chartier, infirmière pivot à la Section d’oncologie cervico-faciale au Centre du cancer Segal.

C’est ce qui permet de tirer le plein potentiel de la télésanté. Gabrielle Chartier, infirmière pivot au sein de la Section d’oncologie cervico-faciale au Centre du cancer Segal, cite l’exemple d’un patient qui, grâce à la télésanté, a pu participer à une rencontre à trois par vidéo avec son propre oncologue et un autre médecin qui était invité à donner un deuxième avis.

Auparavant, explique Madame Chartier, il était rare que le patient soit présent lors de la rencontre de deux spécialistes. Maintenant, toutefois, grâce à l’utilisation de connexions sécurisées, « le patient sent qu’il participe pleinement aux décisions et il a la certitude que tout se fait ouvertement. Nous établissons la confiance en étant centrés sur le patient ».

Selon Maria Ambrosio, différentes mesures de protection sont obligatoires, y compris le consentement du patient à participer à une séance virtuelle et à l’utilisation d’une plateforme qui assure une protection sans faille de sa vie privée.

De plus, dit-elle, la séance de physiothérapie doit avoir lieu dans une salle privée ou dans un lieu où les rideaux peuvent être tirés. Ainsi, si le patient doit montrer une partie de son corps, personne d’autre que le physiothérapeute ne la verra.

De même, précise Madame Ambrosio, le physiothérapeute doit porter un casque ou des écouteurs, afin que les personnes de l’entourage ne puissent pas entendre les réponses ou les commentaires du patient. De plus, souligne la physiothérapeute Mojdeh Hedjazi, le professionnel doit divulguer l’endroit où il se trouve ou son adresse, et doit demander au patient de fournir un numéro de téléphone d’urgence.

Un regard vers l’avenir

Dans une certaine mesure, quand la pandémie s’estompera et les rendez-vous en personne redeviendront habituels, un certain nombre de ces processus et techniques pourraient être abandonnés.

Cependant, il est largement reconnu, bien au-delà du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, que la télésanté continuera d’être utilisée dans de nombreuses situations où un rendez-vous à distance peut améliorer la rapidité, l’efficacité et la commodité des soins.

Cela signifie que les professionnels d’une vaste gamme de champs d’activités devront être formés pour être en mesure de travailler facilement dans le cadre de la télésanté. Cette formation est déjà en bonne voie pour plusieurs.

La Dre Mélanie Mondou, vice-doyenne adjointe, Études médicales de premier cycle à l’université McGill, affirme que depuis l’an dernier les étudiants en médecine de tous les niveaux reçoivent une formation en télésanté, grâce à un module en ligne créé par le Département de médecine familiale.

De plus, le Collège des médecins du Québec a publié un guide sur la supervision clinique et la télésanté, qui a été partagé avec tous les enseignants. Ce guide s’ajoute à la formation des étudiants et il vise à rehausser leurs compétences générales en communications, qui font partie intégrante du programme d’étude.

Dre Michelle Elizov, vice-doyenne adjointe, Formation professorale de l’université McGill.

Dre Michelle Elizov, vice-doyenne adjointe, Formation professorale de l’université McGill.

Lorsque la pandémie ne sera plus une menace active, ajoute la Dre Mondou, le segment de la télésanté sera réexaminé et pourrait être modifié, de la même manière que plusieurs aspects du programme d’études en médecine sont régulièrement révisés. Cependant, dit-elle, comme il semble que la télésanté continuera probablement d’être utilisée, il sera nécessaire d’assurer une formation continue dans cet aspect des soins.

Selon la Dre Michelle Elizov, vice-doyenne adjointe, Formation professorale, une série d’ateliers sur la télésanté a été organisée l’été dernier par le Bureau de développement de la faculté de l’université.

Les ateliers, qui abordaient notamment les principes de base de la télésanté, la manière de superviser les stagiaires lors de la prestation de soins virtuels et l’enseignement par le biais de Zoom, ont été offerts trois fois dans les deux langues, ce qui a suscité une participation importante et des commentaires positifs.

Caroline Storr, professeure adjointe à l’École d’ergothérapie et de physiothérapie de l’université McGill, précise que le premier groupe d’étudiants en ergothérapie (dont elle supervise la formation clinique) a reçu une formation en télésanté l’été dernier, une pratique qui se poursuit avec le groupe actuel d’étudiants.

De plus, note la professeure Storr, l’université McGill prend des mesures à plus grande échelle pour centraliser la recherche sur l’utilisation et l’efficacité de la télésanté dans différents domaines.

Adriana Venturini, physiothérapeute et professeure à l’École d’ergothérapie et de physiothérapie de l’université McGill, précise que les étudiants en physiothérapie étaient déjà exposés à la télésanté avant 2020, mais que l’arrivée de la pandémie a accéléré la nécessité d’une formation immédiate.

Préparer les étudiants à utiliser la télésanté dans la pratique clinique fait désormais officiellement partie de la formation en physiothérapie, ajoute Madame Venturini.

« C’est une chose pour moi, comme psychiatre formé et chevronné de m’adapter à ces nouvelles formes de technologie », explique le Dr Soham Rej, « mais, si vous débutez, cela peut être assez difficile. C’est la raison pour laquelle j’encadre étroitement les étudiants que je vois en clinique ». 

« La formation est une chose dont les étudiants auront absolument besoin dorénavant », confirme le Dr Mark Karanofsky. « Ce savoir-faire est déjà devenu essentiel pour nous permettre d’établir et de maintenir des liens solides avec les patients et les clients ».

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